Marcel Jouhandeau (1888-1979), qui n’est sans doute plus guère lu aujourd’hui, sauf par des lecteurs attirés par la part scandaleuse de son oeuvre, est un écrivain qui a eu une vie intérieure tourmentée et passionnée.

Catholique convaincu, la découverte, très jeune, de son homosexualité l’a plongé dans des abîmes de souffrance pendant des années. Sur le plan moral, comme physique. Une expérience qui tourna mal en 1991 l’amena trois ans plus tard à faire une tentative de suicide.
« J’avais 23 ans peut-être , quand s’était trouvé sur mon chemin un garçon extraordinaire qui jouait auprès de moi le rôle d’une femme. J’ignorais alors tout du vice et il m’avait initié à la sodomie, mais pour se soumettre à mi. Une année, nous avions vécu ensemble, lui tout semblable pour moi à une maîtresse. » Un jour cet ami lui annonce qu’il doit repartir en Allemagne. « Pour la dernière fois, nous venions de faire l’amour à notre habitude quand son oeil se met à briller comme je ne l’avais jamais vu et il se rua sur moi avec une violence animale, sauvage. »
Cette expérience dégoûte Jouhandeau de ce genre de relations pour des décennies. Tout en étant professeur, il écrit des poêmes, puis des romans inspirés de son enfance dans la Creuse et se marie à l’âge de 40 ans, en 1929, avec Elise. Sa vie conjugale plus qu’agitée fait l’objet de plusieurs textes, « Chroniques maritales » et « Scènes de la vie conjugale ».
Tardivement, à plus de 60 ans, il revient à ses premières et uniques amours. Passant par un intermédiaire, il fréquente des jeunes gens pour des rencontres tarifées ce qui n’exclut pas des sentiments amoureux forts et parfois réciproques.
Cette redécouverte a fait l’objet de trois livres « Ecrits secrets » publiés anonymement du vivant de Jouhandeau : « Le voyage secret », « Carnets de Don Juan » et « Tirésias ».

La  passion et l’intensité avec lesquelles Jouhandeau parle de ces jeunes gens garde toute sa puissance au-delà même du style parfois un peu vieilli. Sa première expérience se fait avec un Richard.

 » Sa beauté en est venue juste à ce point de maturité que je recherche, à mi-chemin entre l’adolescent et l’homme fait; il a plus de virilité de que de grâce, velu, mais son poil fol, souple, léger et clairsemé n’obscurcit ni n’alourdit en rien le galbe de ses formes, à peines voilées par là comme d’une pulpe. Il a toujours l’air de sortir du bain.  »
« Ce que je goûte plus que tout, c’est le moment où son visage altéré change de couleur, en même temps qu’il passe de la cruauté la plus farouche à la langueur la plus douce ».
« Heureuse jeunesse! qui n’a rien à cacher, pour qui se montrer nu est une gloire naturelle. A peine sommes-nous seuls, Richard abat ses vêtements autour de lui, comme le serpent sa mue. A peine est-il seul avec moi, il n’est plus lui, il est le dieu. L’extase commence. Il m’y jette, il m’y précipite. Ses formes sont rondes et le grain de sa peau d’un jeune daim ».

Richard disparu, Philippe lui succède.

« Philippe, d’une beauté, dans une tonalité adorable. Doux et fort, bête à souhait tout d’un coup. Une bête, c’est mieux pour ce que nous devons faire ».
« La bêtise de Philippe n’est jamais pesante, c’est une bêtise de palefrenier. Elle mêle à sa rudesse juste la douceur qu’il faut pour ne jamais permettre qu’on en sente la brutalité; comme une coulée d’huile de noix entre nous ».

« Il ne me prend qu’agenouillé, mes jambes passées autour de son cou. Ainsi son visage demeure exposé au-dessus de moi, les paupières baissées, jusqu’au moment où le bonheur le saisit et m’envahit. Alors il ouvre ses yeux, tout grands, de grands yeux couleur de pervenche, dont la tendresse à ce moment-là est d’autant plus poignante que sa bouche cruellement se chiffonne,se rétracte, un peu comme l’huître encore vivante, quand on la dérange dans son repaire. Après, je n’ai qu’à lui parler de ce regard et de cette grimace pour qu’il sourie, mais comme le paraissent faire seulement les animaux endormis au rappel en rêve de la volupté. »


Tel que le raconte Ovide,Tirésias est un devin de Thèbes qui, ayant été transformé en femme pendant 7 ans, dut à cette expérience de devoir arbitrer un débat entre Jupiter et Junon sur l’intensité de la jouissance chez l’homme et la femme. Jupiter prétendait que celle de la femme était largement supérieure à celle de l’homme. Tirésias, après avoir vécu l’une et l’autre, donna raison à Jupiter. De rage Junon le rendit aveugle et, en compensation, Jupiter lui accorda le don de divinité.