Christophe Honoré interprête les « Métamorphoses » d’Ovide (film)
Attention! OVNI!
Adapter aujourd’hui au cinéma « les Métamorphoses » d’Ovide qui parle des Dieux gréco-romains jouant avec les humains et les transformant, par vengeance, par plaisir ou pour les cacher, en plantes ou en animaux est un vrai défi. Le faire sans trucage apparent, sans pompe, sans acteurs professionnels et le plus souvent dans un décor pauvre de banlieue hyper-urbanisée et laide est un quasi-suicide de cinéaste.
Honoré réussit pourtant un objet cinématographique étonnant, déconcertant, parfois décevant et pourtant très séduisant que je rapprocherai de mes deux réels coups de foudre dans le cinéma français/francophone, Tip Top de Serge Bozon et Gerontophilia de Bruce LaBruce, deux films dont j’ai déjà parlé sur ce blog.
Ne vous laissez pas abuser par une bande-annonce ratée mais que tirer de ce film pour un exercice de bande-annonce?
Car ce film ne peut être vu que dans sa continuité narrative bien que se suivent des épisodes dont le lien est le désir des dieux pour les humains, le désir des humains d’échapper à leur vie ordinaire et la question, pour les humains qui ne connaissent plus leurs classiques, de croire ou pas en ces dieux auto-déclarés et en leur pouvoir.
Au début de chaque historiette, on est un peu déçu, parce que,
de prime abord, ces Dieux, ou ceux qui se présentent comme tels n’ont rien de foudroyant, leur charisme n’est pas évident dès la première seconde. Mais très vite, chacun (Jupiter, Bacchus, Vénus, et même l’étrange Diane chasseresse qui ouvre le film) révèle une présence puissante à l’écran. Le choix de diction, parfois un peu morne, rappelle les premiers films de Rohmer et le charme insidieux qui s’en dégageait. C’est très bien ainsi, il n’y a pas d’effets comme les acteurs connus ont tendance à faire, juste l’histoire incarnée qui se déroule sous nos yeux.
Les dialogues mélangent un texte écrit de façon classique et des mots d’aujourd’hui, parfois vulgaires, comme la manière dont Junon s’adresse à Tiresias, joué par le romancier Rachid O, avant de l’aveugler, avec tout le mépris qu’une Déesse peut avoir pour un mortel. Junon la mégère jalouse est jouée avec beaucoup de drôlerie par la jeune Mélodie Richard, traquant Jupiter, son mari infidèle, joué par un indolent Sébastien Hirel, juriste dans la vraie vie. Junon qui se venge sur les conquêtes de Jupiter transformant ainsi Io, jeune automobiliste en génisse, « très très belle génisse » comme le dit Honoré.
On rit, on est émus par la très belle histoire de Philémon et Baucis (Jean Courte et Gabrielle Chuiton), ce vieux couple amoureux qui ne veut pas être séparé même par la mort, on est fascinés par Bacchus (très bien interprêté par Damien Chapelle, danseur), on est troublés par Mercure (Nadir Sonmez) qui aide son père Jupiter dans ses tromperies et par Orphée (Georges Babluani) haranguant les banlieues.
Ne ratez pas ce film. Ce serait vraiment dommage.
Je ne vais pas en faire l’exégèse, allez plutôt lire Christophe Honoré qui parle très bien des difficultés techniques (le dressage des animaux, les nombreuses répétitions des scènes, le sujet même du film) sur le site de Culture 31 (interview en deux parties, ici et ici) et donne quelques autres pistes sur celui de Télérama.
Christophe Honoré n’a que 44 ans mais il faut rendre hommage à sa créativité, à son audace et à sa réussite.
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Sûrement un ovni, s’attaquer à un chef d’œuvre de la littérature qui plus est latine alors qu’aujourd’hui plus personne ne connait le moindre auteur latin ! Espérons que nous aurons l’occasion de voir ce film en province, nous allons guetter sa diffusion.
C’est un film vraiment personnel et qu’on n’oublie pas.