Les « Marie-Antoinettes du coronavirus », j’emprunte ce titre à l’excellent article en ligne sur France Culture qui m’a été adressé par une de mes fidèles amies (Annie, merci! Louper cet article aurait été trop bête), se révèlent en période de crise.
En gros, il y a « une fracture culturelle entre écrivains dorés et scribes précaires, entre artistes privilégiés et soutiers de la culture. Plus largement, ce sont les inégalités soudain grossies par le microscopique virus qui sont rendues plus visibles ».
Avant même de lire cet article, je m’étais fait plus ou moins la même remarque à travers les quelques blogs que je lis ou lisais autrefois.

http://happinesscoco.com
http://happinesscoco.com

 Il y a les blogueuses/instagrammeuses, françaises ou étrangères, qui continuent leurs activités « commerciales » as usual/comme d’habitude mais sans donner de leçons et en gardant une certaine légèreté.
Ca ne me choque pas.

Il y a celles qui nous montrent encore et encore leur belle maison  avec quelques phrases bien-pensantes, disons bienveillantes pour suivre l’expression à la mode, pour leurs lectrices confinées dans leurs petits apparts .Ces followeuses qui n’osent pas afficher leur jalousie, se contentant de « oh » et de « ah » admiratifs. On montre à l’envi les enfants, les animaux, les plantes, les fringues, la belle déco qui fait l’honneur de sites hyper bobos.
Celles-là ne sont pas méchantes ou cyniques, juste indifférentes.

Il y a celles enfin, qui, reprenant un blog délaissé depuis des mois parce qu’elles avaient enfin autre chose à faire de leur vie que de nous parler de leur quotidien, nous entretiennent de leur obsession de la maladie (le virus en cours ou autres),  de leurs essais culinaires, des séries télé qu’elles ont enfin le temps de regarder, de leurs kilos perdus ou repris, etc, etc. Bien sûr, comme elles sont dotées d’une conscience de gauche, elles pratiquent un autodénigrement de bon aloi – je suis tellement ch…, névrosée, regarder un gâteau me fait prendre dix kilos, je cours 3 minutes et il me faut 2 heures au café pour m’en remettre, etc – pour qu’on ne puisse plus rien leur dire. Elles nous distillent de bonnes paroles vigoureuses destinées à faire rire comme à « réconforter ». Sur l’air de :  « Mes chères lectrices, cette société dans laquelle on vit, c’est une horreur, mais il faut bien rire avant de mourir » et ainsi de suite….
Comment ça,   en ce moment tu as une vie un peu vide et donc tu n’as plus rien à dire??! Normal, si ton nombril est le centre du monde, il ne se passe plus rien puisque tu ne sors plus.
Mais, et d’un, il y a bien des choses à raconter aujourd’hui.
Et de deux, Chérie, on ne t’a jamais prise pour une bobo intello parisienne, (ça, c’est Lou Doillon ou Marie Darrieussecq, telles que racontées par France Cul).
Juste pour une petite-bourgeoise, dans son petit pavillon de banlieue avec chat/chien, enfants, mari dévoué et vacances tellement cliché à New-York, en Californie, au Maroc ou en Grèce. Quiconque ose critiquer le contraste entre ces vacances coûteuses, dûment documentées par des reportages photos exhaustifs, et la prétendue modestie quotidienne des blogueuses/instagrammeuses se fait reprendre avec indignation par la rédactrice: « ce sont mes seules vacances, je travaille tellement (ah oui, les réseaux sociaux, c’est tellement trompeur), je ne montre que les plus beaux moments, ma vie est tellement difficile le reste du temps ».
Et en plus se fait vertement rabrouer par le fan club de ces dames, une cohorte de lectrices très vite énervées : si tu n’aimes pas, c’est que tu es jalouse, mesquine, bassement envieuse (les lecteurs sont à très grande majorité des lectrices), va voir ailleurs, dégage.
Le pire : toutes ces « suiveuses » (followers) défendent une personne qu’elles n’ont jamais rencontrée et qui ne leur adresserait sans doute pas la parole dans la « vraie vie ». Parce que la bienveillance, ça a des limites quand tu prends un verre avec tes potes ou que tu fais tes courses au (bon) marché ….

Revenons un instant aux profondes réflexions de Marie Darrieussecq, réfugiée à la campagne, loin de Paris,  dans Le Point :
« Tous nos copains du spectacle vivant sont aux abois. Et mes librairies chéries… L’idée qu’Amazon puisse s’engraisser encore de la crise me débecte. Je relis Hervé Guibert ».
« Deux biches broutent dans notre jardin en friche. Dans le ciel sans avion un milan fait des cercles… Les animaux sauvages profitent de l’absence des hommes »….
« Je me demande si les femmes, comme toujours dans les crises, ne vont pas faire tourner l’essentiel, la maison, la vie… ».
« Nous planquons au garage notre voiture immatriculée à Paris et prenons la vieille que nous gardons ici. Je sens qu’il n’est pas bon de rouler avec un 75 aux fesses… ».
« J’essaie d’écrire. Angoissée, déconcentrée. Je me dépense avec cet article un peu comme on fait un footing. »

On croirait un sketch.

Toutes des personnages balzaciens, flaubertiens, proustiens  et, en rien warholiens ou durassiens (allons bon! c’est moi qui fais mon intello bobo parisienne à présent). Pourquoi balzaciens? Balzac, Flaubert comme Proust, ont couché sur le papier la nature humaine, dans toute sa bêtise, sa naïveté, sa cruauté, sa prétention, avec une telle acuité qu’aujourd’hui encore rien n’a changé.
Alors que Warhol et Duras donnent une certaine flamboyance à une réalité qui ne l’est pas.

Mais je me laisse emporter par un vent mauvais. En réalité, je ne lis plus depuis longtemps ces comptes qui m’irritent : trop nombrilistes, portés par une pseudo bienveillance qui masque à peine une pensée unique dédiée au culte de l’ego de la rédactrice (du rédacteur aussi). Rouvrir les pages pour cet article m’a montré que j’avais eu raison de tourner le dos.

https://www.herodote.net
https://www.herodote.net

A propos de Flaubert, la lecture de sa formidable correspondance (ici un portrait de Flaubert à 15 ans, bien différent de l’homme chauve à la grosse moustache qu’on a l’habitude de voir) est tout à fait distrayante, beaucoup plus accessible que ses romans. Ses lettres sont vivantes, enjouées, et le ton varie selon qu’il écrit à sa mère, à son grand ami Louis Bouilhet, à sa nièce ou à sa maitresse Louise Colet. A sa mère, il y a un sage compte rendu de son voyage en Egypte, à Bouilhet ses virées dans les bordels locaux…
Edition complète en Pléiade et compilation  d’extraits en poche.