L’amour est-il fasciste? (L’amour et rien d’autre, film de Jan Schomburg)
A part (peut-être) dans les films de Philippe Garrel, il n’y a qu’en Allemagne qu’un cinéaste pose ce genre de questions. Affirmation au demeurant, et non question, lancée par un pilier de bar fugitif aux personnages principaux: « l’amour est fasciste ».
« L’amour et rien d’autre » dont le titre allemand est « Über uns das All » (Über uns der Himmel, dahinter das All -ce qu’on pourrait traduire : « Au-dessus de nos têtes le monde entier »-), nous raconte quelques mois de la vie de Martha. Martha, professeure d’anglais dans un lycée, doit faire face aux révélations brutalement amenées à la lumière par le suicide de son mari Paul, chercheur en neurobiologie, croit-elle. Puis elle rencontre Alexander, professeur d’histoire à la faculté, avec qui elle noue une étrange relation.
« L’amour et rien d’autre » est un film à suspense sur le mensonge, la trahison, la dissimulation, l’opacité de l’autre, les compromis nécessaires (indispensables?) à la vie de couple, sur la résilience* autant que sur la psychorigidité, et finalement sur….
une forme de fidélité à soi-même, à ses goûts, à ses désirs et un hommage à la volonté d’atteindre son idéal, envers et contre tous les aléas de la vie.
Martha poursuit obstinément son rêve de l’homme idéal, qui se trouve être aussi le fantôme de son défunt mari. De l’autre, le suivant, Alexander donc, il lui faut le même tic de ramener une mèche sur le côté du front, le même métier universitaire (de neurobiologiste à historien), le même désir d’aller vivre à Marseille au soleil, la même façon de faire l’amour peut-être. Il lui faut aussi un homme amoureux qui ne s’encombre pas de questions sur le passé (Alexandre apprend très tard et tout à fait par hasard que Martha a perdu son mari dans des conditions mystérieuses) en même temps qu’un historien qui connait le poids du passé, l’influence durable des crises, qui cite Hegel (« les évènements se répètent deux fois ») et en accepte l’augure et la direction dans sa vie privée.
Cette Martha n’est certainement pas fasciste, sa conception de l’amour ne l’est pas plus. Elle est, en revanche, assez masculine dans sa façon de très peu parler d’elle-même, de ne rien révéler de ses plans, de prendre en main sa vie sentimentale sans demander conseil à qui que ce soit. Une scène, au début du film, symbolise très bien cette masculinité à l’oeuvre : comme elle va rejoindre son mari à Marseille, elle quitte son lycée et on la voit deux bouquets d’adieu à la main. Croisant un de ses collègues, visiblement amoureux transi, elle lui tend un des deux bouquets. Même en Allemagne, il ne doit pas être si courant qu’une femme donne des fleurs à un homme… Bouquet qui lui est retourné quelques semaines plus tard par le même collègue, toujours amoureux et qui vient présenter ses condoléances espérant sans doute prendre la place vide. Le nouvel amour de Martha lui ouvre la porte. Martha le rejoint, accepte les condoléances sans s’attarder et sans non plus présenter ce nouvel homme qui a déjà remplacé son mari. Si peu de temps après le décès, ni pleurs, ni justification. Elle n’est plus seule, voilà tout. Et puisque ce nouvel homme est le même, ou presque, que son mari, pourquoi ferait-elle les présentations? Il est déjà connu et reconnu.
C’est le premier film de Jan Schomburg, réalisateur pour la télévision.
*La résilience? C’est la capacité qu’ont certaines personnes à surmonter les traumatismes pour continuer leur vie sans plonger dans la dépression.
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