Mary Poppins fait partie de ces rares créatures imaginaires qui appartiennent à une mémoire commune. D’autant plus rare qu’elle est du sexe dit faible – quoique ce personnage ne le soit guère, faible.
Mowgli, Harry Potter, Dracula, Frankenstein, James Bond (on a oublié Modesty Blaise), Tintin, Astérix (mais ce sont des bandes dessinées) font face à Alice au pays des merveilles, Fantomette (de Georges Chaulet qui n’a pas dû sortir du domaine français), Wonder Woman (je triche un peu car c’est une héroïne de comics), Bécassine (mais a-t-elle une renommée mondiale?).
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Créée au début des années 1930 par la fantasque ( et dotée d’une sacrée longévité) Pamela Lyndon Travers (née Helen Lyndon Goff, 1899-1996), Mary Poppins est une gouvernante anglaise qui arrive à l’improviste dans la famille Banks qui vit à Londres.
Pamela Travers se destinait d’abord à la poésie et au théâtre. Un de ses centres d’intérêts majeurs a été le symbolisme de l’univers et s’est accompagné d’une recherche mystique inlassable, notamment sous l’égide de Gurdjieff.
Travers, comme beaucoup d’auteurs de génie, n’a pas été une personne particulièrement aimable ni facile à vivre et certainement pas une bonne mère*. La série de Mary Poppins est en réalité truffée d’allusions symboliques et bien plus complexe que l’adaptation qu’en a faite Walt Disney et qui a rendu Travers tellement furieuse.

PL Travers avec son fils adoptif. Image : dailymail
PL Travers avec son fils adoptif. Image : dailymail

Le premier film de Robert Stevenson (également réalisateur des très réussis L’espion aux pattes de velours et Un amour de coccinelle) était charmant bien que regroupant en réalité plusieurs tomes différents. Julie Andrews reste évidemment irrésistible.

Mary Poppins Returns que j’ai hésité à aller voir est très réussi. Se rapprochant des textes originaux, volontairement ou non, Rob Marshall y a ajouté une certaine mélancolie. Emily Blunt est parfaite. Elle crée son propre rôle sans copier Julie Andrews.  Les enfants sont de remarquables acteurs, la petite Anabel (Pixie Davies) a un accent délicieusement posh…. Colin Firth est un méchant succulent, Meryl Streep cabotine.

J’ai lu les traductions françaises (par Vladimir Volkoff) dans les jolis volumes de la collection Idéal-Bibliothèque (Hachette), avec les illustrations de Jean Reschofsky, assez proches des illustrations originales de Mary Shepard (dont le père, Ernest Howard Shepard, est l’illustrateur du très célèbre Winnie l’Ourson/Winnie The Pooh). Mais la Mary Poppins de Reschofsky s’est affranchie du modèle anglais et est bien plus jolie que celle de Shepard!

dessin de Jean Reschofksy pour l'édition française
dessin de Jean Reschofksy pour l’édition française

Travers avait des idées très précises sur l’allure que devait avoir son héroïne (d’après une de ses poupées préférées), y compris la position de ses pieds, généralement en première position (selon les critères de la danse classique).

Dessin de Mary Shepard pour l'édition anglaise originale
Dessin de Mary Shepard pour l’édition anglaise originale

Mary Poppins est un mélange de sévérité très anglaise, une nurse stricte sur la politesse, la manière dont les enfants doivent se tenir devant les adultes et de fantaisie qui l’amène à être plus indulgente et plus souriante. Ce qu’on peut interprêter comme la différence entre le maintien (voire le masque) que l’on doit garder en société et sa propre personnalité qui s’épanouit en dehors – et en secret.
Son mode de vie chez les Banks est celui d’une gouvernante classique : logée, nourrie, elle dort à l’étage des enfants, passe son temps avec eux, sauf pendant ses deux jours de congés mensuels (deux jours par mois!) et est considérée comme du personnel de maison. Ce n’est que quand elle sort avec les enfants qu’elle rencontre d’autres personnes ou retrouve de vieux amis, souvent dotés comme elle de pouvoirs magiques.
Ces pouvoirs magiques ne doivent pas être connus des parents. Pas plus qu’ils ne doivent apprendre les aventures extraordinaires que vivent leurs enfants.
Mary Poppins incarne tout l’imaginaire de l’enfance heureuse, quand rien ne contrarie son développement et Travers rend parfaitement compte  des rêves et fantasmagories des jeunes enfants, que les adultes laissent de côté et oublient par la suite pour se consacrer aux choses sérieuses. Elle est aussi le reflet de son auteur : une femme assez solitaire mais toujours à la recherche d’âmes-soeurs avec qui partager son attirance pour le mysticisme et quelqu’un qui n’aime pas s’attarder sur les choses de la vie quotidienne. Car personne ne peut retenir Mary Poppins quand elle estime que son travail est terminé.

J’adorais les dessins de Jean Reschofsky (1905-1998), notamment ceux faits pour la série Petitou, de Dick Laan, publiée dans la collection Rouge et Or Dauphine.
petitou

En conclusion, lisez les livres, de préférence en anglais, vous ne le regretterez pas!

*Cette très intéressante biographie qui retrace en détail la vie de l’auteure n’est pas traduite en français : Valerie Lawson, Mary Poppins, She Wrote : The Life of P. L. Travers