Orly Castel-Bloom. Où je suis. Textile. (romans)
Ce que j’aime dans les bibliothèques municipales, ce sont les découvertes qu’on y fait.
Orly Castel-Bloom est tombée dans mon panier juste avant le confinement. Une rencontre que je ne regrette pas.
Orly Castel-Bloom est une romancière israélienne née à Tel-Aviv en 1960 où elle vit toujours après avoir enseigné aux Etats-Unis et en Angleterre.
Où je suis est paru en 1990 (Heykan ʾaniy nimṣeʾt, traduit par Rosie Pinhas-Delpuech, Actes Sud, 1995). Textile est paru en 2006 (Teqsṭiyl, traduit par Rosie Pinhas-Delpuech, Actes Sud, 2008).
Comment parler de ces textes profondément originaux, poétiques et réalistes à la fois, troublants et même bouleversants?
Où je suis est précédé d’une belle préface de la traductrice, titrée « Alice dans les espaces » qui attaque : « Parfois, et même souvent, les ennuis d’un traducteur commencent dès le titre d’un livre ». La traductrice évoque le « pays de l’ahurissement », et un « grotesque grinçant ».
On y suit les tribulations d’une femme de quarante ans dont on ne connait jamais le nom, juste parfois le surnom que lui a donné son premier mari « dommage », le deuxième ayant oublié son prénom l’appelait « hé », « ho », « alors »…. Sinon, on (les hommes qu’elle croise) l’appelle « bécasse, avorton, poupée, chérie ».
On y parle de quartiers de Tel Aviv qu’il ne faudrait surtout pas confondre, comme Afeka, Neot Afeka et Ramat Aviv, de Beer-Sheva ou Eilat, mais qui ne sont que des décors pour des épisodes de vie tous ahurissants. Elle regarde des robes de Bat-Adam, trop chères pour sa bourse de femme éternellement fauchée, éternellement en recherche d’emploi. Son premier mari est fou, interné dans un asile psychiatrique; le deuxième pratique les sports extrêmes. La rupture avec celui-ci est racontée ainsi : « Il est rentré en avion, et moi en autobus. Le temps qu’il arrive à Ramat Aviv, le temps que j’y arrive. Le temps pour lui de faire ses bagages. Le temps pour moi de digérer la signification du placard vide« .
Les hommes viennent à elle sans cesse bien qu’elle se décrive elle-même comme une femme peu attirante. Certains lui font des propositions vraiment étranges qu’elle accepte comme dans un rêve et qui l’amènent dans des endroits et des situations aussi absurdes que celles des rêves ou des cauchemars, on ne sait pas bien. Les gens lui parlent de manière rude. Un désespoir se glisse sous les évènements. Mais même quand elle veut se noyer dans la mer, elle revient à la surface dans un filet de pêcheurs, au milieu des sardines. Elle part toujours vers ailleurs… A la recherche de quelque chose ou quelqu’un qui l’appellera par son nom, la reconnaîtra, l’acceptera.
Textile parle d’Amanda (Mandy) Gruber qui dirige l’entreprise familiale de pyjamas uniquement destinés à la clientèle ultra-orthodoxe. Son mari, Irad, est une sorte de génie brouillon, fantasque et extrêmement égocentrique qui a inventé l’escalier roulant en spirale. Son fils Da’el est à l’armée, sa fille Lirit vit avec une sorte de néo-rural plus âgé qu’elle dans le Néguev. On est toujours à Tel-Aviv, à Kiriat-Shaoul, à Tel-Barukh nord est, à Neve-Avivim. Mandy est tellement terrifiée que son fils puisse mourir pendant son service militaire – thème qu’on retrouve dans beaucoup de romans israéliens -, qu’elle passe son temps sur le billard en opérations de chirurgie esthétique pour « dormir, dormir ». Elle se fait remplacer les omoplates par un chirurgien israélien qu’elle fait venir spécialement d’Allemagne où il exerce à présent. Dans le même temps, son mari part aux Etats-Unis rencontrer une spécialiste d’araignées capables de tisser une toile très solide qui pourrait permettre de créer des tenues de protection efficaces et légères, des T.T. (Tenues de Terreur). On suit l’opération de l’une, le voyage de l’autre, l’évolution de la vie sentimentale de leur fille qui doit surveiller l’usine pendant l’opération de sa mère et la manière dont leur fils gère sa carrière de tireur d’élite (sniper en fait). C’est un livre étonnant de notations tour à tour absurdes et philosophiques.
La géographie de la ville de Tel Aviv est importante dans ces romans, comme pourrait l’être celle de Paris. Vivre dans le 7ème arrondissement ou porte de la Chapelle ou à Saint-Denis?
Castel est le nom de son père, Bloom celui de son ex-mari et ce prénom Orly? « Un bébé israélien serait né dans cet aéroport parisien, et du coup ce prénom est devenu extrêmement populaire dans les années 60″.
Son style, Orly Castel-Bloom en parle merveilleusement : « je prends pour acquis le fait que l’histoire existe déjà quelque part. Ca n’a rien de mystique, je veux dire de mystiquement bébête. Pour écrire, je dois faire comme si l’histoire existait déjà, sans aucun rapport avec moi. Mon travail, c’est de décrire les mouvements de cette histoire – et encore pas tous – dans un esprit que je qualifierais de poétique ».
Chez elle, ses parents parlaient français avec l’accent égyptien.
Ses romans n’ont rien de français pourtant. Il y a quelque chose de Lewis Carroll (l’absurde et la ténacité que mettent les personnages à continuer leur route) ou des romans russes (une mélancolie fataliste devant les difficultés d’une vie perpétuellement déroutée par les obstacles), le tout enrobé dans un sens du récit qui fait qu’on ne peut pas laisser arrêter de lire.
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