Remède aux chagrins d’amour (rondeau de Charles d’Orléans)
Remède aux chagrins d’amour
En remède à vos maux d’amour, Prenez la fleur de souvenir Avec le suc d’une ancolie, Et n’oubliez pas le souci ; Mélangez tout en fâcherie.La plante du désir de loin, Poire d’angoisse en émollient, Dieu, pour l’amie, vous les adresse ; Poudre de plaintes en calmant, Feuilles de l’élection d’un autre et racine de jalousie : Mettez l’essentiel sur le cœur Juste avant de vous endormir En remède à vos maux d’amour.Passées les années de lycée, la plupart d’entre nous ne lit plus de poésie. Pourtant, un petit poème en dit souvent plus qu’un long roman et dépose davantage de traces dans notre cœur.
Ce charmant rondeau a été écrit par Charles d’Orléans (1394-1465) au Xve siècle. Charles d’Orléans, neveu, cousin et père de rois (Charles VI, Charles VII et Louis XII respectivement) a été un prince-poète, héritier de la tradition des trouvères. Ses Ballades étaient conçues pour être lues en public mais il composait également des chansons et jouait de la harpe. Ses courts poèmes sont influencés par l’art courtois qui demande de contrôler les élans amoureux et d’y trouver un sens. A l’année civile et liturgique qui avaient chacune leur calendrier, s’ajoute un calendrier courtois avec ses fêtes comme le Premier mai, jour pour offrir des fleurs à son aimée et qui marquait le début des beaux jours et surtout la Saint-Valentin. Hé oui, la Saint-Valentin n’est pas seulement une fête « commerciale » récente, elle remonte au Moyen-Age car on croyait que les oiseaux s’accouplaient ce jour-là.
Les textes de Charles d’Orléans sont souvent mélancoliques. Il avait quelques raisons à cela : son père Louis est assassiné à Paris alors que Charles a dix ans, sa mère meurt à 38 ans l’année suivante. Sur le champ de bataille d’Azincourt, le 25 octobre 1415, il a 21 ans. Retrouvé parmi les morts, il est épargné en raison de son rang et emmené en Angleterre, ce qu’illustre la miniature ci-dessous.
Tenu de payer lui-même sa rançon et les frais de son séjour comme captif, il met 25 ans à rassembler la somme ce qui contribue à le ruiner. Pendant ces longues années, il lit et compose.
Le rondeau offre en quelques lignes une émotion, une petite histoire sentimentale. Le premier et le dernier vers sont identiques, refermant le poème sur lui-même comme une petite ronde. L’ancolie et le souci sont des fleurs utilisées ici pour leur symbolique (ancolie rime avec mélancolie). La poire d’angoisse est d’abord un fruit produit à Angoisse en Dordogne. Pris au sens figuré, le terme évoque un fruit amer. Il a donné son nom à un instrument de torture plutôt terrifiant : une sorte de boule en forme de poire qui peut s’élargir par des ressorts situés à l’intérieur et que le bourreau pouvait mettre dans différents endroits du corps. Curieusement, l’utilisation de la poire d’angoisse en émollient indique ici un apport adoucissant, auquel s’ajoute la « poudre de plaintes » comme calmant à cette petite composition pharmaceutico-amoureuse.
Cette « recette », tel est le titre du rondeau, est désabusée puisqu’on y trouve le souvenir, les tracas, les brouilles, l’amertume, le désir insatisfait, les lamentations et la jalousie…
Le poème le plus connu de Charles d’Orléans et qu’on trouve dans toutes les anthologies est celui qui commence ainsi:
Le temps a laissé son manteau De vent, de froidure et de pluie, Et s’est vêtu de broderie,
Pour en lire davantage : Charles d’Orléans. En la forêt de la longue attente. Edition bilingue de Gérard Gros. Postface de Jean Tardieu (autre grand poète à lire). Poésie/Gallimard.
Tags In
8 Comments
Laisser un commentaire Annuler la réponse.
Abonnez-vous au flux de Niftyfifty!
- Famille, je vous hais (ou pas) 23 juillet 2023
- Félicité Herzog. Une brève libération 24 mai 2023
- Michel Houellebecq. Anéantir 10 avril 2023
Que de tristesse et de mélancolie dans ce poème…
Les ballades de Charles d’Orléans sont souvent mélancoliques en effet. J’aime beaucoup ces délicates images.
[…] Charles d’Orléans, rondeau 144. […]
[…] à la manière de Charles d’Orléans Pour toutes les mères qui voient leurs rejetons quitter le nid […]
[…] Charles d’Orléans, rondeau 144. […]
[…] difficilis). Pour la clôturer une bonne fois pour toutes, je fais de nouveau appel à ce cher Charles d’Orléans qui, du fond de sa captivité dorée à Londres, a écrit de si jolis petits rondeaux. J’aime […]
[…] (le déclin de ma mère qui est difficile à admettre et encore plus à voir), sentimentales (ah le coeur…) et existentielles (le temps qui passe). Après avoir pleuré tout le week-end et une partie […]
[…] Charles d’Orléans, rondeau 144. […]